jeudi 28 janvier 2016



Je ne sais pas ce qui me pousse à abandonner la peur un peu plus, chaque jour. Mais il m'arrive plusieurs fois par semaine de sentir soudainement mes épaules très légères, ou mes pieds comme voler au dessus du sol. Mon corps est toujours douloureux, ici ou là, le genou, l'épaule, la fesse, la hanche, le dos. Mais je le pousse à aller de l'avant. C'est quelque chose de voir son corps se modifier, je m'abandonne au côté narcissique, un peu. J. me demande un soir si j'aime mon corps. C'est plutôt que j'apprends à l'accepter, il me semble. Et puis sentir que tout commence à être sa place est salvateur, c'est comme si je m'enracinais. Je pense aux deux psychomotriciens que je côtoie, et ce qu'ils m'expliquent de leur discipline. Tout me semble si logique, même si je me demande comment moi j'ai été portée et contenue quand j'étais petite, pour avoir le besoin de tant travailler autour de et avec mon corps. Et moi qui dis tellement avec les mots, qu'est ce que mon corps a encore à exprimer ? Il y a des choses qui sont plus faciles, aller vers les autres, ne pas se sentir bancale. Est ce aussi les enfants de la crèche qui cette année sont très câlins ? Je m'aperçois à quel point ils me font du bien, ces contacts. J'observe aussi que mes amies me prennent de plus en plus dans leurs bras, et serrent fort, fort. J'aimerais que ce soit encore plus évident, un peu partout. Prendre des mains dans les miennes, caresser une joue, mettre mon bras autour d'une épaule. Oui parfois les mots ne suffisent plus, ou ils ne sont pas assez. J'ai comme l'impression que ce rapport au corps permet plus de légèreté, de j'ouvre grands les bras et je tournois et je laisse le vent y entrer. Et je vous laisse, vous aussi, y entrer, et ce n'est pas trop lourd. Je la ressens au creux de moi cette sensation d'avoir envie de mouvements. Et puis maintenant, dans notre nouveau chez nous, je prends le vélo matin et soir, j'ai les cuisses qui chauffent, la plupart du temps, car un vélib pèse 22kg.  Alors resurgissent ces sensations d'enfance, la vitesse et l'air qui défile tout autour de moi et les virages pendant lesquels je dois donner un coup de rein à gauche ou à droite et les bosses sur les routes où je dois penser à me mettre debout sur les pédales. J'aime entendre mon coeur qui bat vite, et tape et tape et tape.
Ces derniers temps sur les photos où j'apparais, je me regarde plusieurs fois, car j'ai l'impression que ce n'est pas mon âge. Et dans un taxi, un soir, on me demande quelles études je fais. Je me demande si ça durera toute la vie, de ne pas faire mon âge. Enfin, certaines personnes qui me connaissent mieux que d'autres me disent que je suis vieille à l'intérieur. Je grince, bien sûr, car là non plus je ne me reconnais pas dans cette phrase. C'est vrai que je porte plusieurs choses un peu noires, un peu tranchantes, un peu glauques aussi et je n'ai même pas le désir de m'en délaisser. J'ai même dit cette semaine à quelqu'un c'est comme si je n'avais presque plus de père, alors je n'ai pas envie que quelqu'un joue ce rôle à sa place. Depuis qu'on habite ici, je commence à faire des rêves en début de nuit, et je rêve des gens qui me sont proches, puis je me réveille et j'ai l'impression que ces personnes ne me sont plus rien du tout. Souvent aussi je rêve de lui, je ne me rappelle pas quoi exactement, mais dans la journée, j'ai une sensation, je le revois avec ces grands yeux gris et ses cheveux bouclés et sa bouche qui se tordait de tant d'expressions. Alors je sais qu'il a visité ma nuit. Voilà, il y a aussi les moments blues, ceux où je regarde le paysage qui défile dans le rer et où le manque m'écrase, je n'ai plus la force de rien. Je viens de penser à cette phrase de Camille Claudel : il y a toujours quelque chose d'absent qui me tourmente. Et dans ces moments, c'est un peu ça, sauf que c'est une armée d'absents.

1 commentaire:

  1. Encore des mots dont j'ai l'impression que tu me les racontes debout dans la cuisine, ou j'aurai aimé en tout cas. Ce que j'apprends ici et qui fait tellement écho, j'aimerais avoir ta sagacité, souvent!

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