dimanche 24 mai 2015



Il y a des fleurs très jaunes sur ma table-bureau. J'aime le jaune depuis qu'il est parti, car on disait que c'était sa couleur. Cinq enfants, et presque tous une couleur différente. Bleu, rouge, vert, jaune, et de nouveau rouge. Serait ce comme des caractères ? Pourtant rouge et rouge ne se ressemblent pas vraiment. Alors je ne sais pas comment garder les fleurs en vie chez moi, elles fanent beaucoup trop vite à mon goût.
C'est dimanche et j'ai repoussé depuis hier de répondre à ma messagerie infernale, qui n'est jamais en veilleuse. Mais c'est bientôt l'heure du cours de barre au sol et je voudrais avoir l'esprit tranquille. Alors j'inscris un à un tous ces témoignages sur le stress en crèche, très peu arrivent à positiver, et ça bouillonne dans ma cerveau, ça surchauffe même, j'en ai des vertiges. Mercredi on m'a dit, ce dossier il faut le rendre maintenant, pas dans quinze jours comme c'était prévu. Je m'en suis écorchée le pouce d'angoisse, avec la rappe à fromage. Le comté sur les lasagnes multicolores n'en a pas été moins savoureux, mais quand même. La semaine avait déjà commencé sur des heures pleines, pas de creux, non non, c'est pour les faibles, alors là, ça a été le pompon. Mon appel à l'aide a eu beaucoup de réponses, et il fallait bien qu'à mon tour j'indique, je dirige, je motive. ça ne me quittait pas, le cœur battant la chamade toute la journée, et même le soir, je me faisais violence pour débrancher.
 Et puis la crèche en sous effectif, cependant que le stress était bien là, je me devais de garder mon calme, de privilégier toute mon enveloppance, avec ces tout-petits. Vendredi, ça a commencé à tirer sur la corde, j'ai parfois dû parler un peu durement, mais j'ai largement proposé mes bras et j'ai eu plusieurs petites têtes qui sont venues se nicher sur mon cœur. J'ai dit que c'était normal on était tous fatigués, c'est vendredi, et puis quinze jours avec papa et maman, je comprends que tu n'ais pas envie de revenir à la crèche, je comprends aussi que tu préfères cette chaise avec les accoudoirs, mais je n'ai pas le choix, je dois la donner à un  plus petit que toi, mais viens, je te fais un câlin, viens je t'en donne une plus belle, jaune, et tu pourras manger des betteraves, et oui je comprends un coup de couteau sur la tête, y a rien de moins agréable, mais tu n'as rien, non à part la colère et la peur, et le douleur oui, ok je te donne ta tétine, tu la réclames alors je te la donne, mais quand même pas entre chaque bouchée, oui tu as tous les droits d'être malheureux, avec ton otite et ça doit faire mal, écoute, je dis aux autres de ficher la paix, oui laissez le, il n'a pas envie qu'on l'embête, et oui je sais que tu veux jouer avec l'eau et avec la barrière, je vois ton sourire jusqu'aux oreilles, même quand je te dis stop, parce que je ne peux pas te changer dix fois de body dans la journée, et la barrière, j'ai peur qu'elle casse si tu continues à la secouer comme ça, donc je comprends ta désapprobation, mais tiens je mets de la musique, toi qui aimes tant danser, et puis après je te montrerai ce qu'il se passe dans la cuisine, puisque la vue te plait autant, et oui je sais, dormir à votre âge ce n'est pas simple, mais je suis là, je pose une main là où vous avez besoin, sur la tête, sur vos petites mains et sur vos jambes qui s'agitent, je dis que vous pouvez fermer vos yeux, vous vous endormez tous un à un, la crèche est silencieuse, et alors oui tu te réveilles en pleurs, les cheveux trempés, mais je suis là, encore, et je te porte, petite grenouille, je fais tous les gestes avec toi, je te parle, et puis enfin, quand tu es prête, je te pose au sol et tes yeux sont si lumineux, alors que tu as tellement pleuré en septembre quand tu es arrivée parmi nous, je sens déjà quelle petite fille tu seras, je suis contente d'avoir encore un an avec toi. Je dis il faut surveiller qu'il n'ait pas trop mal, qu'il ne mange pas de produit avec du lait de vache, que lui ait son biberon, que la machine à laver soit lancée après le goûter, je dis au revoir les enfants, et je cours vers autre chose.
Je sens bien que la fatigue est en train de venir se coller à moi. Mais ce n'est pas encore la fin de semaine. J'ai rendez vous. Je dois rencontrer l'enthousiasme, la joie de notre métier. Après tous ces jours à récolter la dureté de nos quotidiens, je me maudis de ne plus avoir la force de frétiller moi aussi mon siège quand elle me raconte les livres, les soirées parents livres, les prêts de livres, les commandes de chenilles que les petits verront grandir, les kamishibais faits main, faits avec les familles.
Jeudi, la petite fille aux cheveux noirs m'a demandé quand j'aurais un bébé dans mon ventre, en le regardant. Je ne sais pas. Puis elle a regardé une autre petite fille, qui fait d'elle une presque sœur, en racontant, "C., elle dit quand on a très soif, au lieu de dire je meurs de soif, on peut dire j'ai éléphantesquement soif." J'ai souri, ces mots sont les miens, et ce sont comme des petites graines que j'ai plantées et qui contre tout attente, font de fleurs bien épatantes.

mercredi 13 mai 2015






Ensuite, la semaine de mauvaises nuits s'est multipliée par deux, puis trois. Je finis par me demander si mon genou est bien le coupable. En fait, j'ai même du mal à écouter ses lamentations. Je continue à foncer dans le tas, en croisant les doigts, malgré tout.

J'appréhendais le petit périple avec J., n'était ce pas trop ? Les arrêts ici et là, dire bonjour et bien vite au revoir, à quoi ça pouvait rimer. ça a sonné comme nous deux, main dans la main, tour à tour pilote et copilote "tu as compris où tu devais aller ? Je ne sais pas, je n'écoute que toi, que ce que tu me dis". Rien que pour ces mots là, je préfère être celle qui indique la route. Et puis ça me permet de regarder le paysage.

A Majorque j'écarquille grands les yeux, prête à prendre le moindre petit détail qui me fera dire que je ne suis pas trop chez moi, et que ça fait du bien. Alors il y a des routes en lacets, et des maisons isolées, avec des oliveraies, des moutons, beaucoup de poussières. On traverse parfois un village, ça sonne presque western, ville fantôme avec tous ces volets fermés. On arrive enfin à notre nid pour ces quelques jours, comme des enfants de luxe, on se jette sur le balcon "on voit la mer ?"  Oui en dessous, des arbres, on la voit la mer, un petit bout de mer mais quand même. Tous les petits déjeuners gargantuesques seront pris dans une salle immense, avec des mômes qui courent partout, il n'y a que des familles ici. Une fois ça de fait, la journée commence au rythme des vacances : paresser, bouquiner, écrire, se balader. Un jour, on visite un château, je regarde au loin et m'étonne de ces arbres que je vois si distinctement sur les montagnes. "tu crois que ce sont des arbres géants ?" Un autre jour, on a bien étudié la carte, on veut découvrir des petites criques en courant. D'abord, on se perd, on rencontre sur le chemin un caddie oublié au milieu de nulle part, et de l'autre côté de la falaise, je vois une grosse chèvre. Un bouquetin, qu'on me dit. Cela n'empêche, le chemin qu'on emprunte sent le miel, pour de vrai, pendant quasiment deux heures, je sens l'odeur du miel et le soleil est juste à point, on rencontre un unique cycliste. Nous sommes presque seuls au monde. Le dernier soir, j'ai envie d'une glace, et on a oublié que la saison n'était pas si haute que ça. Heureusement tout au bout de la rue, un glacier nous a presque attendu avant de fermer sa boutique. J. insiste pour qu'on aille finir notre glace au bord de la mer. Je bougonne un peu, il fait nuit, il insiste, car oui c'est ça les vacances.

Puis nous ne rentrerons pas ensemble à Paris avec J. Moi le samedi, lui le dimanche. "pourquoi tu ne rentres pas en même temps que lui ?","pourquoi vous n'essayez pas d'être plus fusionnels ?". De nouveau je grince et je m'agace. Je voudrais sourire et dire c'est notre vie, c'est comme ça. Mais non je m'emporte, je me justifie, je m'insurge. Pourquoi devrait-on faire comme tout le monde si on peut faire comme ça nous convient ?
Après ça, il faut que je compose avec moi, avec la difficulté de ne rien supporter, et de me rendre compte que c'est ma personne que je ne supporte pas. C'est comme si tout venait se cogner à moi, les objets, les meubles, le regard des gens, et même mon propre corps. Il y a des douleurs que je ne sais plus à qui confier. A qui puis-je dire que mon frère me manque ? Et y a-t-il besoin de le dire ?
On m'a dit qu'il fallait que je me fasse un plan de carrière. Je n'ai pas compris. ça m'a de nouveau piqué. Mais depuis deux jours, je dors la nuit, d'un sommeil très lourd et engourdissant. Le matin, je l'entends à peine se lever et je me réveille juste assez pour sentir ses lèvres sur moi qui me disent bonne journée.

vendredi 1 mai 2015





Une semaine de mauvaises nuits, avec un genou qui persiste à ne pas se faire oublier,  et cette toute dernière  nuit, le jour se lève  à peine,  j'ai un train à prendre et les yeux qui piquent. Je bougonne,  comme tous les matins de cette semaine. Quand on commence à ronchonner contre soi,  c'est tout qui fout le camp. Je souffle et me dit que non pas aujourd'hui,  c'est  décidé j'arrête la colère. Je ferme la petite valise bleue, celle qui j'ouvrirais et fermerais plusieurs  fois ces jours prochains. Dans les rues de mon quartier parisien,  c'est l'heure que je préfère,  celle où cette ville n'est  pas épuisante, presque un peu timide avec le ciel qui s'ouvre. Je pense à Maman qui va bientôt  partir aussi de Dijon. À ce moment  là je reçois  un message d'elle "chacun sa route". Dans le train je me force à régler certaines obligations, je grince encore un peu, mais cette fois ci ce ne sera que furtif. Et puis parfois il suffit à dire ce qui révolte pour que ça  apaise. Dijon est vite là,  Maman aussi et puis la grande maison. T. sera là à midi. Mais en attendant il n'est que dix heures, le temps pour  Maman de découper des éléphants au chocolat blanc et moi d'en  plier des tout légers.

Avant, à Paris, ou pas loin, il y a une naissance, d'une petite fille avec un prénom en trois lettres, mais qui aurait pu s'appeler comme moi. C'était le vingt avril, le même jour que le frère de J. . Avril, c'est des dates de fin, mais aussi de début, il faut bien, ça marche comme ça. Des journées entières à la crèche, mais seulement une ou deux posées ici et là. Ce ne sera qu'une collègue et à peine deux poignées d'enfants. Petite J., trois ans tout frais du dix huit avril, apprend à se débarrasser de sa couche. Je discute avec son papa, que je trouve merveilleux, à croire que chaque papa que je croise l'est. Le papa de petite J. est impliqué, il rit beaucoup, mais je sens bien en dessous ce qu'il se joue, et cette relation de père-fille, qu'est ce qu'on croit, en fin de compte. Tous les matins, c'est pareil, il dit, je m'en vais, tu me fais un bisou/tu me dis au revoir ?, sa toute petite lui répond de sa voix rocailleuse d'un grognement d'ourson, en baissant la tête et la secouant pour dire non, légèrement désolée. J'ai un peu mal à mon côté paternel, quand il part, comme ça, parce qu'il faut bien quand même. Cette semaine, avec ma collègue, c'est un doux ballet, ménage, cuisine, s'occuper des enfants, ah oui quand même, on est là pour ça. C'est doux si vous saviez, comme à la maison, sans presque de cris, ni de pleurs, des siestes à rallonge, des bougies soufflées sur une tartine de chèvre, des fous rires sur la table de change. Un matin, j'ai même allumé France Inter alors que tous sont au jardin et que je suis en cuisine. ça parle de course à pied, alors j'écoute attentivement, en guettant le jardin et les enfants à moucher/consoler/changer. Un jour, ou cours d'un repas sans mes oreilles qui se crispent, je me dis et je le dis tout haut : c'est comme aujourd'hui que je voudrais travailler. Et j'y songe. Je suis éducatrice mais il se peut que je me rajoute une autre casquette, assistante maternelle, avec d'autres assistantes maternelles, une maison et la paix, tout le monde au même niveau, nos mains dans la même pâte. J'ai commencé à envoyer des messages, lancer des appels. Je me laisse influencer positivement par des projets qui pourraient vraiment voir le jour.

Ce vendredi là, dans le Jura, après la sieste des Malimalé et l'offrande des éléphants, direction le parc. Je regarde ces beaux enfants, mon filleul, avec ses boucles caramel et ses manières pataudes, ses petites dents qui se dévoilent quand je lui raconte une blague, et M., mon premier bébé, qui a quatre ans maintenant, qui est immense, je l'observe. Quelque chose a changé, une nouvelle naïveté est apparue sur son visage. Au parc, leur maman veille au grain, entre deux discussions et quelques princes engloutis. Juste avant que je remonte dans ma petite montagne, je reçois un message du papa de petite J. : "ça y est, elle ne met plus de couches. Et ça c'est trop cool."
Demain, ce sera la route pour Grenoble, puis, Annecy, pour voir un autre bidon bien rond, Genève, un avion pour Majorque, re Genève et Annecy, enfin encore un tout petit peu, le Jura.