samedi 14 novembre 2015

Je n'ai que les mots

Il est presque 23h quand j'arrive chez mes amis, et qu'on me dit en rigolant que c'est moi qui ai foutu la merde à Paris. Je souris, sans comprendre, j'acquiesce, je suis bien souvent une fouteuse de merde, de toute façon. L'ambiance est encore joviale, le bonheur de se retrouver. R. ne quitte pas son portable, à ce moment là, on annonce une quinzaine de morts. A. dit que ce n'est pas vrai, c'est une blague pour le 13 novembre. Déjà, les sourires commencent à être crispés. J'aimerais bien y croire à ce 1er avril de novembre. Je tremble en me rappelant que L. est à Paris, j'appelle tout de suite, il est l'abris. Inévitablement, la télé est allumée et je me laisse attirer par les images et les propos qui viennent cogner toutes les parties de mon corps. J'entends, je vois, les mots, le Bataclan, je me souviens notre ami qui y a invité J, il y a 5 jours. J., n'y est pas. J. a comme moi répondu à l'appel du coup de tête, viens on se barre de Paris, on va prendre le vert. Mais j' appelle J., car notre ami y était bien dans cette salle. Et il en est sorti, oui, comme la plus grande majorité au final.Malgré tout, que restera-il de cette salle de concert souillée par l'horreur et la cruauté ?
Les messages commencent à affluer, où es tu ? Tu vas bien ? Moi aussi je fais la liste, j'envoie les messages, j'appelle encore et encore quand on ne me répond pas. J'imagine me balader à Paris un vendredi soir, dans ces rues, car c'est bien ce que font les parisiens un vendredi soir, et recevoir, sans avoir rien demandé, des balles de plomb. J'ai mal physiquement. Mal de ne pas comprendre comment ça peut être possible, cette réalité.
Les amis d'ici ne réalisent pas trop, ou détournent  le regard, essaient l'humour. Je suis triste car Paris, c'est là où je vis, c'est là où j'aurais pu être ce soir là. C'est là où des centaines de gens sont morts, et combien ont vécu l'enfer ? C'étaient des gens qui ne réclamaient rien, boire un coup avec des copains, vibrer au son d'un bon groupe de rock, rentrer chez soi après sa journée et se détendre. Faudra-il que nous restions sur nos gardes, désormais ?
 Je pars et vais retrouver J. qui fait défiler, en bon journaleux de sa génération, son flux twitter. Il me raconte comment  T. est sorti du Bataclan, et emploie le mot miraculé. Je voudrais des bras qui m'entourent et des regards qui m'enveloppent, mais tout ce que nous avons, ce sont des flux sociaux, la télé qui s'empare de nos yeux, et notre trouille sidérante. Chacun enfermé dans sa propre incompréhension. Je finis par me dire que dormir serait un bon anxiolytique. Je monte, mes gestes me paraissent déconnectés, irréels. Le lit est froid, j'ai froid. Je tente encore d'appeler J. Il me répond je suis bloqué. Je m'endors, écrasée par  le poids de ce qui se joue. J'ai à l'esprit en sombrant le message resté sans réponse d'une personne qui compte. Elle n'est pas à Paris, mais j'imagine le pire, et si une personne de son entourage [...] ? Je cauchemarde, plusieurs fois, comme des petits pics d’électrochocs, je me prends des coups de taser toute la nuit. Vers 7h30, je me réveille en ne me rappelant pas et me rendors. A 10h30, je me réveille en me rappelant tout. Je suis en sueur et j'ai des courbatures partout. Je ne veux plus de bras qui réchauffent. Je pourrais juste partir.

Je voudrais ne pas avoir peur, me dire que je ne sursauterai pas au moindre bruit quand je prendrai le RER tous les jours, que je ne paniquerai pas quand je me retrouverai au milieu d'un bain de foule ou que subitement un soir, en rentrant de chez moi, je ne marcherai pas un peu plus vite en me souvenant de ce 13 novembre.
Je suis une personne qui vit au contact des autres, qui se nourrit d'eux, qui nage avec délectation dans un monde d'enfants, qui ne regarde pas les infos et les écoutent très peu. J. se moque souvent de mon inculture, avec raison. Je vis le plus souvent dans ma petite bulle d'émotions, de folie, de rires, de câlins, parfois avec les bras, parfois avec le cerveau. Je ne suis pas engagée politiquement, je ne suis même pas politiquement incorrecte. Je n'ai pas de remarque piquante et bien placée à écrire sur la revendication de Daesh, la Syrie, ou le rôle du gouvernement français dans cette histoire. Est ce que cela m'aiderait à mieux accepter, à avoir moins peur ?
Car je suis complètement figée par la trouille, la trouille au ventre, au bout des doigts, dans mon coeur de fille, soeur, amoureuse, amie, éducatrice. Je ne sais pas où aller et que faire de cette peur. Alors je vais continuer plus fort  : aller vers, tendre vers, aimer, jouer, rire, consoler, compatir, envelopper, accompagner, bouger, se mouvoir, recommencer, répéter, sourire, regarder, adoucir, veiller, soigner, aimer vivre encore et encore.

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