dimanche 26 octobre 2014


 


 
 
Les bébés vont s'enchaîner cette année. Le premier est né. Un dimanche d'octobre, alors que je courais dans le Jura. J'observais les arbres, pas assez roux à mon goût, et constatant cette année  encore que l'automne tardait de plus en plus à s'installer. Je parle à ma mère, elle qui pédale, moi qui cours, c'est comme si la relation changeait, mère-fille, fille-mère, je me sens protectrice, je nous sens accompagnantes l'une de l'autre. A chaque fois que je reviens dans cette maison, je peine à me dire que ma vie est à Paris. L'odeur de la maison, toujours, les bras de ma mère et toute son enveloppance, mes frères et leurs humeurs, les petits pas rouillés de mon père, trop silencieux, les chats, les jardins et les voisins, le bois rangé, les légumes cueillis, les plats plein d'amour de ma mère, le sourire de ma mère, l'accueil de ma mère dès le petit déjeuner. Ma mère. Ma maman. Ma maman-folie. A chaque fois, je me dis, je vais y revenir. La vie serait aussi -plus ?- douce ici.

A Paris la vie est tumultueuse, le travail à la crèche est éreintant, les gens sont épuisants, beaucoup plus que les enfants, quoi qu'on en dise. A chaque fois que le travail me pose question, c'est toujours, inévitablement en relation avec un adulte, une professionnelle, un parent, l'équipe. Alors il me suffit de m’asseoir avec un enfant, ou deux ou trois, ou six. Rien ne me vient plus facilement que d'être avec eux, de repérer ce qu'ils montrent. Une histoire à écouter, à inventer ensemble, une matière à explorer, un jeu à reproduire, encore, encore, encore, qu'ils répètent, avec leurs rires et sourires qui s'échappent si naturellement. Et puis je ne suis que réceptacle, des mots des parents, de la visible confiance de leurs enfants, des liens qui se forment presque invisibles mais tellement tangibles. Je suis lieuse, comme si j'avais des fils au bout des doigts, des bras et du cœur. Je ressens tous ces bébés, ces enfants, que l'on m'offre presque, plus qu'on ne me les confie. Je ne suis pas une ogresse qui mange les enfants, j'espère être une ogresse qui nourrit  ces enfants. J'écris ces mots, et ça déborde, les larmes. Qu'est ce que j'ai fait pour mériter ça ? On me dit merci. Moi aussi, je dis merci.

Après le 12 octobre 2014, trois jours plus tard, je reçois, encore, un autre dépôt d'amour-confiance. Il est tel, que de nouveau, je fonds. Quelle chance. Quelle force cela me donne. Avec cette maman toute neuve qui m'offre d'être à ses côtés, à leurs côtés, j'échange, tous les jours. Comme un  de ces nombreux fils qui s'épaissit. Parfois je doute d'être suffisamment, d'être comme il faut. Je doute aussi parce qu'il devient éprouvant pour moi de n'être pas plus qu'une amie-éducatrice-bienveillante. Parfois j'aimerais ne plus avoir tous ces boutons qui s'allument et clignotent telles des alertes professionnelles et empathiques. Pourrais je n'être qu'émotions et réactions sans questions ? Certainement que non. Je suis un tout.

Et parce que le bonheur n'est pas qu'auprès des enfants, il y a aussi tous ces autres fils, entre sœurs, entre amies, entre amies-sœurs. C'est drôle comme ces deux liens se confondent. Comme des amies finissent par devenir des sœurs, même aux yeux des autres. De ces liens aussi, alors que je réceptionne et renvoie des messages, je me sens puissante et comblée. Que dire de ces moments où tout n'est que bras ouverts et accueillants ?

J'ai imprimé des photos, je trie. Parfois le cœur tombe en observant ce qui a passé. Je me demande, cette photo, je l'avais prise avant ou après. J'ai imprimé des photos prises par les fenêtres. Je les ai collées d'un côté et de l'autre de la fenêtre de tous les jours. Un côté Jura. Un côté Paris. Comme pour me montrer les directions. Et parce que je n'ai pas qu'un phare pour me guider.

2 commentaires:

  1. Chez vous, c'est tellement exactement comme tu le racontes, une constellation de tartines de beurre salé à tremper dans du lait chaud. J'ai l'impression que tu me racontes tout ça d'un canapé, c'est un peu égoïste, mais c'est parce que tu sonnes si vrai quelque soit le vecteur!

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