Sur les toi(t)s
jeudi 28 janvier 2016
Je ne sais pas ce qui me pousse à abandonner la peur un peu plus, chaque jour. Mais il m'arrive plusieurs fois par semaine de sentir soudainement mes épaules très légères, ou mes pieds comme voler au dessus du sol. Mon corps est toujours douloureux, ici ou là, le genou, l'épaule, la fesse, la hanche, le dos. Mais je le pousse à aller de l'avant. C'est quelque chose de voir son corps se modifier, je m'abandonne au côté narcissique, un peu. J. me demande un soir si j'aime mon corps. C'est plutôt que j'apprends à l'accepter, il me semble. Et puis sentir que tout commence à être sa place est salvateur, c'est comme si je m'enracinais. Je pense aux deux psychomotriciens que je côtoie, et ce qu'ils m'expliquent de leur discipline. Tout me semble si logique, même si je me demande comment moi j'ai été portée et contenue quand j'étais petite, pour avoir le besoin de tant travailler autour de et avec mon corps. Et moi qui dis tellement avec les mots, qu'est ce que mon corps a encore à exprimer ? Il y a des choses qui sont plus faciles, aller vers les autres, ne pas se sentir bancale. Est ce aussi les enfants de la crèche qui cette année sont très câlins ? Je m'aperçois à quel point ils me font du bien, ces contacts. J'observe aussi que mes amies me prennent de plus en plus dans leurs bras, et serrent fort, fort. J'aimerais que ce soit encore plus évident, un peu partout. Prendre des mains dans les miennes, caresser une joue, mettre mon bras autour d'une épaule. Oui parfois les mots ne suffisent plus, ou ils ne sont pas assez. J'ai comme l'impression que ce rapport au corps permet plus de légèreté, de j'ouvre grands les bras et je tournois et je laisse le vent y entrer. Et je vous laisse, vous aussi, y entrer, et ce n'est pas trop lourd. Je la ressens au creux de moi cette sensation d'avoir envie de mouvements. Et puis maintenant, dans notre nouveau chez nous, je prends le vélo matin et soir, j'ai les cuisses qui chauffent, la plupart du temps, car un vélib pèse 22kg. Alors resurgissent ces sensations d'enfance, la vitesse et l'air qui défile tout autour de moi et les virages pendant lesquels je dois donner un coup de rein à gauche ou à droite et les bosses sur les routes où je dois penser à me mettre debout sur les pédales. J'aime entendre mon coeur qui bat vite, et tape et tape et tape.
Ces derniers temps sur les photos où j'apparais, je me regarde plusieurs fois, car j'ai l'impression que ce n'est pas mon âge. Et dans un taxi, un soir, on me demande quelles études je fais. Je me demande si ça durera toute la vie, de ne pas faire mon âge. Enfin, certaines personnes qui me connaissent mieux que d'autres me disent que je suis vieille à l'intérieur. Je grince, bien sûr, car là non plus je ne me reconnais pas dans cette phrase. C'est vrai que je porte plusieurs choses un peu noires, un peu tranchantes, un peu glauques aussi et je n'ai même pas le désir de m'en délaisser. J'ai même dit cette semaine à quelqu'un c'est comme si je n'avais presque plus de père, alors je n'ai pas envie que quelqu'un joue ce rôle à sa place. Depuis qu'on habite ici, je commence à faire des rêves en début de nuit, et je rêve des gens qui me sont proches, puis je me réveille et j'ai l'impression que ces personnes ne me sont plus rien du tout. Souvent aussi je rêve de lui, je ne me rappelle pas quoi exactement, mais dans la journée, j'ai une sensation, je le revois avec ces grands yeux gris et ses cheveux bouclés et sa bouche qui se tordait de tant d'expressions. Alors je sais qu'il a visité ma nuit. Voilà, il y a aussi les moments blues, ceux où je regarde le paysage qui défile dans le rer et où le manque m'écrase, je n'ai plus la force de rien. Je viens de penser à cette phrase de Camille Claudel : il y a toujours quelque chose d'absent qui me tourmente. Et dans ces moments, c'est un peu ça, sauf que c'est une armée d'absents.
dimanche 20 décembre 2015
Animal. Instinctif.
A deux reprises cette semaine j'explique ce que je ressens de la petite enfance, celle qui parle peu avec des mots mais tellement avec son corps. Une première fois, en transit, alors qu'avec ce papa nous observons ses deux enfants jouer. Il me dit que ça lui saute aux yeux la différence entre ceux de la crèche et ceux de la maternelle. La parole. L'intellectualisation. Je lui explique ce qui me meut, moi, chez le tout-petit. Ce rapport au corps si évident, qui vient me prendre dans mes racines, ces tâtonnements de bébés animaux qui se cherchent et qui nous trouvent. Et l'instinct, si fort, si aisé entre eux et moi. Il paraît que ces sensations me vont bien. Trois jours plus tard, je dirais de nouveau ces mots là à la maman de petite A. - plus si petite-. Je rajouterais galvanisant.
J'ai la bougeotte, même après tant de fatigue, des journées bien longues, il faut que je pédale, que je cours ou que je nage. J. s'inquiète. Je ne reconnais plus mon corps, et j'espère que ma tête ne se durcit pas comme lui. J'ai faim des gens, des liens et des regards qu'on s'échange. Je distribue les je t'aime, je t'embrasse fort, tu me manques, tu es un trésor, j'ai de la chance, prends soin de toi, ils sont beaux, prenez soin de vous, j'ai hâte. La vie par millier, par tous ces visages et ses voix qui font mon monde.
Mercredi soir, après avoir passé l'après midi à transmettre mon amour des gâteaux de décembre à petite L. et petite J., je manque de m'étouffer dans mes larmes alors que j'enchaîne les longueurs de crawl. Il vient parfois le temps où je ne supporte plus, où ce tant d'amour, de tous ces enfants qui ne sont pas les miens, me noie. Que reste-il de moi et de tout ce que j'ai offert à la fin de toutes ces journées ? Je rentre chez moi, chez nous, et je voudrais encore de l'animal, des petits bras autour de mon cou et des mots qui me font sourire, des mon Camille avec les mains tendues en l'air quand j'entre dans une pièce, des sourires quand je souris, des bouches qui mangeraient toute la pâte à gâteau avant même de l'avoir mise dans le four, des regards dans le mien si évidents et qui ne disent rien d'autre que je suis là, je suis vivant. Alors ce soir là, oui je rentre, et je ne peux expliquer à J. ce qui me fait dire que je me sens nulle et que je ne fais jamais assez. Mais J. ouvre grand ses bras et les referme sur moi, il dit les mots pommade, il enveloppe. Je deviens le petit animal dans sa tanière. Et je patiente. L'hiver est presque là, en janvier, notre nid deviendra plus grand.
samedi 21 novembre 2015
Je ne sais pas si c'est d'avoir écris qui a fait que ma peur s'est envolée. Ou bien la soirée d'adolescente passée avec P. et A., petite soeur et comme soeur. On avait commencé à virevolter sur du Marie Laforêt toi mon amour mon ami, j'avais sorti mon rouge à lèvre bien rouge, celui que J. déteste mais qui moi me fait sentir beaucoup plus forte. Puis les chansons ont défilé, on avait fini la bouteille de Macvin, on a dépoussiéré les jupes, chapeaux, boléros et chaussures à talons. C'était la liberté. Ouvrir grand les bras, gonfler les poumons pour en laisser le rire en partir et en revenir.
Le lendemain, être deux sœurs,et deux frères, un parcours de course où il ne fallait pas avoir froid aux yeux. N'avoir mal nulle part, ça aussi c'est la liberté retrouvée. Les chemins caillouteux qui montaient, les petits sentiers recouverts d'une épaisse couche de feuilles mortes qui descendaient à pic, puis juste de l'herbe verte et le soleil partout, quel goût d'utopie.
Retourner à Paris, et bien vite se coucher pour retrouver les tout-petits le lendemain. Je n'ai pas tressailli, pas une seule fois, en prenant les transports ce matin là, et il en a été de même tous les jours. Je me suis surprise à regarder les gens, plus que d'habitude. Parfois, dans le RER, je me rends soudain compte du silence, alors que la rame est bondée. Je lève les yeux et je les observe toutes ces silhouettes anonymes, qui me paraissent tristes et bien enfermées sur elles-mêmes. Mais ces nouveaux matins, je regarde encore et je croise d'autres yeux, interrogateurs, songeurs. Est ce qu'on se reconnaît ? Je me persuade que oui, que quelque chose nous lie, que l'on a un peu tous les mêmes pensées en vrac, sentiments de confusion et d'urgence pèle-mêle. Enfin, lundi matin à la crèche, et eux, tellement hors du monde, mais si impliqués dans la vie, dans leur tourbillon incessant d'explorations. Il y a lui, et son sourire de côté quand il me voit, mon prénom qu'il répète comme une chanson toute la journée. Cette litanie, c'est comme entendre ma mère qui m'a raconté cent fois le jour de ma naissance. Ton père, il n'y avait plus rien qui comptait à part toi, il n'y avait que Camille, Camille, Camille, Camille. Il y a elle, petite fille passionnée, qui rage un instant, puis celui d'après vient se nicher dans nos bras, dans un soupir de bien-être. Elle dépose des baisers tout légers, dans nos cous, sur nos joues, sur nos cheveux. Il y a elle, petit clown aux yeux en amande, déjà si indépendante, mais qui par moment, s'accroche comme une huître à nos bras qui la protègent. Il y a lui, et lui qui se réveillent de leur sieste en pleurs et qui réclament leur papa, les nez plein de morve et les yeux embués. Papa revient ce soir. Il y a lui qui dit non toute la journée, non pour s'habiller, non pour se coucher, non pour prêter un jouet, non toujours non. Et est ce que tu veux dire non ? Oui. Il y aussi les non que nous sommes parfois obligés de lui dire et qui le mettent dans un état de tristesse incroyable, des larmes en torrent, si compliquées à recueillir. Il y a toute leur vie en continu, leur mouvement, ce qu'ils viennent chercher chez nous, chez moi, qui relie si bien aux racines, leurs regards dans le mien, qui visent en plein de le mille. J'ai cessé d'avoir peur à leur contact.
La fatigue m'est tombée dessus d'un seul coup, les nuits peut-être apaisées, et de nouveau les matins brouillards épais, dont je me souviens pas des bruits de J., juste son baiser de au revoir et son rire en le faisant. Et alors que je la croyais disparue, paradoxalement, la colère refait surfasse, une après midi trop silencieuse, je me crispe, j'ai envie de me battre, je n'ai plus envie de dire oui, oui amen, à tout et advienne que pourra. D'où vient ce sentiment de ne pas me sentir respectée, à commencer par moi-même ?
samedi 14 novembre 2015
Je n'ai que les mots
Il est presque 23h quand j'arrive chez mes amis, et qu'on me dit en rigolant que c'est moi qui ai foutu la merde à Paris. Je souris, sans comprendre, j'acquiesce, je suis bien souvent une fouteuse de merde, de toute façon. L'ambiance est encore joviale, le bonheur de se retrouver. R. ne quitte pas son portable, à ce moment là, on annonce une quinzaine de morts. A. dit que ce n'est pas vrai, c'est une blague pour le 13 novembre. Déjà, les sourires commencent à être crispés. J'aimerais bien y croire à ce 1er avril de novembre. Je tremble en me rappelant que L. est à Paris, j'appelle tout de suite, il est l'abris. Inévitablement, la télé est allumée et je me laisse attirer par les images et les propos qui viennent cogner toutes les parties de mon corps. J'entends, je vois, les mots, le Bataclan, je me souviens notre ami qui y a invité J, il y a 5 jours. J., n'y est pas. J. a comme moi répondu à l'appel du coup de tête, viens on se barre de Paris, on va prendre le vert. Mais j' appelle J., car notre ami y était bien dans cette salle. Et il en est sorti, oui, comme la plus grande majorité au final.Malgré tout, que restera-il de cette salle de concert souillée par l'horreur et la cruauté ?
Les messages commencent à affluer, où es tu ? Tu vas bien ? Moi aussi je fais la liste, j'envoie les messages, j'appelle encore et encore quand on ne me répond pas. J'imagine me balader à Paris un vendredi soir, dans ces rues, car c'est bien ce que font les parisiens un vendredi soir, et recevoir, sans avoir rien demandé, des balles de plomb. J'ai mal physiquement. Mal de ne pas comprendre comment ça peut être possible, cette réalité.
Les amis d'ici ne réalisent pas trop, ou détournent le regard, essaient l'humour. Je suis triste car Paris, c'est là où je vis, c'est là où j'aurais pu être ce soir là. C'est là où des centaines de gens sont morts, et combien ont vécu l'enfer ? C'étaient des gens qui ne réclamaient rien, boire un coup avec des copains, vibrer au son d'un bon groupe de rock, rentrer chez soi après sa journée et se détendre. Faudra-il que nous restions sur nos gardes, désormais ?
Je pars et vais retrouver J. qui fait défiler, en bon journaleux de sa génération, son flux twitter. Il me raconte comment T. est sorti du Bataclan, et emploie le mot miraculé. Je voudrais des bras qui m'entourent et des regards qui m'enveloppent, mais tout ce que nous avons, ce sont des flux sociaux, la télé qui s'empare de nos yeux, et notre trouille sidérante. Chacun enfermé dans sa propre incompréhension. Je finis par me dire que dormir serait un bon anxiolytique. Je monte, mes gestes me paraissent déconnectés, irréels. Le lit est froid, j'ai froid. Je tente encore d'appeler J. Il me répond je suis bloqué. Je m'endors, écrasée par le poids de ce qui se joue. J'ai à l'esprit en sombrant le message resté sans réponse d'une personne qui compte. Elle n'est pas à Paris, mais j'imagine le pire, et si une personne de son entourage [...] ? Je cauchemarde, plusieurs fois, comme des petits pics d’électrochocs, je me prends des coups de taser toute la nuit. Vers 7h30, je me réveille en ne me rappelant pas et me rendors. A 10h30, je me réveille en me rappelant tout. Je suis en sueur et j'ai des courbatures partout. Je ne veux plus de bras qui réchauffent. Je pourrais juste partir.
Je voudrais ne pas avoir peur, me dire que je ne sursauterai pas au moindre bruit quand je prendrai le RER tous les jours, que je ne paniquerai pas quand je me retrouverai au milieu d'un bain de foule ou que subitement un soir, en rentrant de chez moi, je ne marcherai pas un peu plus vite en me souvenant de ce 13 novembre.
Je suis une personne qui vit au contact des autres, qui se nourrit d'eux, qui nage avec délectation dans un monde d'enfants, qui ne regarde pas les infos et les écoutent très peu. J. se moque souvent de mon inculture, avec raison. Je vis le plus souvent dans ma petite bulle d'émotions, de folie, de rires, de câlins, parfois avec les bras, parfois avec le cerveau. Je ne suis pas engagée politiquement, je ne suis même pas politiquement incorrecte. Je n'ai pas de remarque piquante et bien placée à écrire sur la revendication de Daesh, la Syrie, ou le rôle du gouvernement français dans cette histoire. Est ce que cela m'aiderait à mieux accepter, à avoir moins peur ?
Car je suis complètement figée par la trouille, la trouille au ventre, au bout des doigts, dans mon coeur de fille, soeur, amoureuse, amie, éducatrice. Je ne sais pas où aller et que faire de cette peur. Alors je vais continuer plus fort : aller vers, tendre vers, aimer, jouer, rire, consoler, compatir, envelopper, accompagner, bouger, se mouvoir, recommencer, répéter, sourire, regarder, adoucir, veiller, soigner, aimer vivre encore et encore.
Les messages commencent à affluer, où es tu ? Tu vas bien ? Moi aussi je fais la liste, j'envoie les messages, j'appelle encore et encore quand on ne me répond pas. J'imagine me balader à Paris un vendredi soir, dans ces rues, car c'est bien ce que font les parisiens un vendredi soir, et recevoir, sans avoir rien demandé, des balles de plomb. J'ai mal physiquement. Mal de ne pas comprendre comment ça peut être possible, cette réalité.
Les amis d'ici ne réalisent pas trop, ou détournent le regard, essaient l'humour. Je suis triste car Paris, c'est là où je vis, c'est là où j'aurais pu être ce soir là. C'est là où des centaines de gens sont morts, et combien ont vécu l'enfer ? C'étaient des gens qui ne réclamaient rien, boire un coup avec des copains, vibrer au son d'un bon groupe de rock, rentrer chez soi après sa journée et se détendre. Faudra-il que nous restions sur nos gardes, désormais ?
Je pars et vais retrouver J. qui fait défiler, en bon journaleux de sa génération, son flux twitter. Il me raconte comment T. est sorti du Bataclan, et emploie le mot miraculé. Je voudrais des bras qui m'entourent et des regards qui m'enveloppent, mais tout ce que nous avons, ce sont des flux sociaux, la télé qui s'empare de nos yeux, et notre trouille sidérante. Chacun enfermé dans sa propre incompréhension. Je finis par me dire que dormir serait un bon anxiolytique. Je monte, mes gestes me paraissent déconnectés, irréels. Le lit est froid, j'ai froid. Je tente encore d'appeler J. Il me répond je suis bloqué. Je m'endors, écrasée par le poids de ce qui se joue. J'ai à l'esprit en sombrant le message resté sans réponse d'une personne qui compte. Elle n'est pas à Paris, mais j'imagine le pire, et si une personne de son entourage [...] ? Je cauchemarde, plusieurs fois, comme des petits pics d’électrochocs, je me prends des coups de taser toute la nuit. Vers 7h30, je me réveille en ne me rappelant pas et me rendors. A 10h30, je me réveille en me rappelant tout. Je suis en sueur et j'ai des courbatures partout. Je ne veux plus de bras qui réchauffent. Je pourrais juste partir.
Je voudrais ne pas avoir peur, me dire que je ne sursauterai pas au moindre bruit quand je prendrai le RER tous les jours, que je ne paniquerai pas quand je me retrouverai au milieu d'un bain de foule ou que subitement un soir, en rentrant de chez moi, je ne marcherai pas un peu plus vite en me souvenant de ce 13 novembre.
Je suis une personne qui vit au contact des autres, qui se nourrit d'eux, qui nage avec délectation dans un monde d'enfants, qui ne regarde pas les infos et les écoutent très peu. J. se moque souvent de mon inculture, avec raison. Je vis le plus souvent dans ma petite bulle d'émotions, de folie, de rires, de câlins, parfois avec les bras, parfois avec le cerveau. Je ne suis pas engagée politiquement, je ne suis même pas politiquement incorrecte. Je n'ai pas de remarque piquante et bien placée à écrire sur la revendication de Daesh, la Syrie, ou le rôle du gouvernement français dans cette histoire. Est ce que cela m'aiderait à mieux accepter, à avoir moins peur ?
Car je suis complètement figée par la trouille, la trouille au ventre, au bout des doigts, dans mon coeur de fille, soeur, amoureuse, amie, éducatrice. Je ne sais pas où aller et que faire de cette peur. Alors je vais continuer plus fort : aller vers, tendre vers, aimer, jouer, rire, consoler, compatir, envelopper, accompagner, bouger, se mouvoir, recommencer, répéter, sourire, regarder, adoucir, veiller, soigner, aimer vivre encore et encore.
dimanche 18 octobre 2015
Je n'écris pas assez ici pour savoir dans quelle direction où aller.
Il y a eu un été plein de promesses et qui les a tenues, sans faille, avec tous les ingrédients. Un festival de musique sous la pluie comme à 19 ans, des jours en Haute Savoie avec des bébés, des copains et des cousins, beaucoup de soleil, les enfants des autres toujours, l'accro branche, le longboard, le temps qui ne passait pas trop vite, le Jura pendant un mois, la Crête avec J., les 20 ans de Léo peu fêtés, les 25 de Pauline qui l'ont été si joyeusement et qui ont posé un baume de sérénité ici et là, les courses à pied, le paddle, les origamis, les apéros avec les voisins, la piscine quand il fait nuit, et quand il pleut aussi, les mots pour mon père, les mots avec ma mère.
Puis la rentrée, les nouveaux enfants et ceux qu'on a du mal à lâcher, qu'on revoit, dans un parc, à la sortie de l'école maternelle, lors d'un semblant de baby sitting. Les heures qui s'accumulent, les ressentis et les besoins qui n'arrivent pas à être exprimés, le sentiment de vide et de nullité qui ne me lâche pas. S'accrocher à ce qui perdure, qui devient toujours plus facile et de plus en plus évident. S'appuyer sur ceux qui se veulent bienveillants. Mais garder les dents serrées et le regard au loin. Une fois n'est pas coutume, quoique, le corps parle et se tort, une fois, deux fois, trois fois, quatre fois. Mais pleine de clichés, je me relève et repars en courant à chaque fois. Quand je rentre de cette course, j'ai eu peur, je suis pleine de colère, je ne suis pas restée au sol mais je sais que je ne m'en sortirai pas indemne. Il y a les bras de ma sœur, et de ma mère, heureusement. Et puis un jour, la poche d'eau se perce et ça ne sort pas par vague, mais comme un petit filet qui me fait à nouveau respirer. J'ai parlé. Tant pis si ça fâche, si je ne suis pas comprise. J'ai dit ce que j'avais là et c'était ce qui comptait.
Le 17 octobre, je suis allée cherché le petit déjeuner pour les deux frères, J. était dans le Jura. J'ai fait plusieurs tournées de muffins, un petit lot pour les amis et un grand plat pour les anniversaires des anciens de la crèche, les parents avec qui je suis devenue amie, les pierres précieuses de cette expérience. Je suis en retard pour tout mais ça ira. Marche métro marche librairie marche bus rer marche. Une petite fille de 6 mois est en train de goûter son premier yaourt, m'accueille avec de grands sourires, on me dit que j'ai la cote. J'ai le cœur qui se serre. On m'offre un place au repas du midi, à une table qui ressemble à ce qui me manque tous les jours. Je dois repartir. Marche rer marche tramway marche rer marche. On m'accueille avec des ballons, des sourires, des mots qui disent "contents de te voir", répétés encore et encore. Les enfants arrivent, ceux que je portais encore l'année dernière, qui n'ont plus besoin de mes bras, mais qui refont les mêmes jeux, le petit train avec les chaises, se cacher dans la plus petite cabane de la crèche, faire des lits pour tout le monde, grimper là où c'est dangereux. De temps en temps je repère le regard de certains enfants qui me reconnaissent. Petite J. ma si jolie lutine à la voix rauque me lance des sourires en coin. J'ai le cœur qui se serre. La fête est gaie, la joie bien présente. Mais il faut bien se quitter. J'atterris à la gare du rer, et mon coeur va finir par étouff.r. Je vais rentrer chez moi après : rer marche métro marche métro marche ascenceur. Et je vais trouver un tout petit appartement vide, sans enfants, sans famille, sans frères et sans lui surtout et je ne me comprends pas. Est ce que je suis un problème - suis je dans ma vie - pourquoi je la remplie de tant d'enfants et de leurs parents, de ces familles.
J'ai mal dormi, je n'ai même pas déplié le clic clac, quand on est une, pas besoin de place pour deux.
dimanche 24 mai 2015
Il y a des fleurs très jaunes sur ma table-bureau. J'aime le jaune depuis qu'il est parti, car on disait que c'était sa couleur. Cinq enfants, et presque tous une couleur différente. Bleu, rouge, vert, jaune, et de nouveau rouge. Serait ce comme des caractères ? Pourtant rouge et rouge ne se ressemblent pas vraiment. Alors je ne sais pas comment garder les fleurs en vie chez moi, elles fanent beaucoup trop vite à mon goût.
C'est dimanche et j'ai repoussé depuis hier de répondre à ma messagerie infernale, qui n'est jamais en veilleuse. Mais c'est bientôt l'heure du cours de barre au sol et je voudrais avoir l'esprit tranquille. Alors j'inscris un à un tous ces témoignages sur le stress en crèche, très peu arrivent à positiver, et ça bouillonne dans ma cerveau, ça surchauffe même, j'en ai des vertiges. Mercredi on m'a dit, ce dossier il faut le rendre maintenant, pas dans quinze jours comme c'était prévu. Je m'en suis écorchée le pouce d'angoisse, avec la rappe à fromage. Le comté sur les lasagnes multicolores n'en a pas été moins savoureux, mais quand même. La semaine avait déjà commencé sur des heures pleines, pas de creux, non non, c'est pour les faibles, alors là, ça a été le pompon. Mon appel à l'aide a eu beaucoup de réponses, et il fallait bien qu'à mon tour j'indique, je dirige, je motive. ça ne me quittait pas, le cœur battant la chamade toute la journée, et même le soir, je me faisais violence pour débrancher.
Et puis la crèche en sous effectif, cependant que le stress était bien là, je me devais de garder mon calme, de privilégier toute mon enveloppance, avec ces tout-petits. Vendredi, ça a commencé à tirer sur la corde, j'ai parfois dû parler un peu durement, mais j'ai largement proposé mes bras et j'ai eu plusieurs petites têtes qui sont venues se nicher sur mon cœur. J'ai dit que c'était normal on était tous fatigués, c'est vendredi, et puis quinze jours avec papa et maman, je comprends que tu n'ais pas envie de revenir à la crèche, je comprends aussi que tu préfères cette chaise avec les accoudoirs, mais je n'ai pas le choix, je dois la donner à un plus petit que toi, mais viens, je te fais un câlin, viens je t'en donne une plus belle, jaune, et tu pourras manger des betteraves, et oui je comprends un coup de couteau sur la tête, y a rien de moins agréable, mais tu n'as rien, non à part la colère et la peur, et le douleur oui, ok je te donne ta tétine, tu la réclames alors je te la donne, mais quand même pas entre chaque bouchée, oui tu as tous les droits d'être malheureux, avec ton otite et ça doit faire mal, écoute, je dis aux autres de ficher la paix, oui laissez le, il n'a pas envie qu'on l'embête, et oui je sais que tu veux jouer avec l'eau et avec la barrière, je vois ton sourire jusqu'aux oreilles, même quand je te dis stop, parce que je ne peux pas te changer dix fois de body dans la journée, et la barrière, j'ai peur qu'elle casse si tu continues à la secouer comme ça, donc je comprends ta désapprobation, mais tiens je mets de la musique, toi qui aimes tant danser, et puis après je te montrerai ce qu'il se passe dans la cuisine, puisque la vue te plait autant, et oui je sais, dormir à votre âge ce n'est pas simple, mais je suis là, je pose une main là où vous avez besoin, sur la tête, sur vos petites mains et sur vos jambes qui s'agitent, je dis que vous pouvez fermer vos yeux, vous vous endormez tous un à un, la crèche est silencieuse, et alors oui tu te réveilles en pleurs, les cheveux trempés, mais je suis là, encore, et je te porte, petite grenouille, je fais tous les gestes avec toi, je te parle, et puis enfin, quand tu es prête, je te pose au sol et tes yeux sont si lumineux, alors que tu as tellement pleuré en septembre quand tu es arrivée parmi nous, je sens déjà quelle petite fille tu seras, je suis contente d'avoir encore un an avec toi. Je dis il faut surveiller qu'il n'ait pas trop mal, qu'il ne mange pas de produit avec du lait de vache, que lui ait son biberon, que la machine à laver soit lancée après le goûter, je dis au revoir les enfants, et je cours vers autre chose.
Je sens bien que la fatigue est en train de venir se coller à moi. Mais ce n'est pas encore la fin de semaine. J'ai rendez vous. Je dois rencontrer l'enthousiasme, la joie de notre métier. Après tous ces jours à récolter la dureté de nos quotidiens, je me maudis de ne plus avoir la force de frétiller moi aussi mon siège quand elle me raconte les livres, les soirées parents livres, les prêts de livres, les commandes de chenilles que les petits verront grandir, les kamishibais faits main, faits avec les familles.
Jeudi, la petite fille aux cheveux noirs m'a demandé quand j'aurais un bébé dans mon ventre, en le regardant. Je ne sais pas. Puis elle a regardé une autre petite fille, qui fait d'elle une presque sœur, en racontant, "C., elle dit quand on a très soif, au lieu de dire je meurs de soif, on peut dire j'ai éléphantesquement soif." J'ai souri, ces mots sont les miens, et ce sont comme des petites graines que j'ai plantées et qui contre tout attente, font de fleurs bien épatantes.
mercredi 13 mai 2015
Ensuite, la semaine de mauvaises nuits s'est multipliée par deux, puis trois. Je finis par me demander si mon genou est bien le coupable. En fait, j'ai même du mal à écouter ses lamentations. Je continue à foncer dans le tas, en croisant les doigts, malgré tout.
J'appréhendais le petit périple avec J., n'était ce pas trop ? Les arrêts ici et là, dire bonjour et bien vite au revoir, à quoi ça pouvait rimer. ça a sonné comme nous deux, main dans la main, tour à tour pilote et copilote "tu as compris où tu devais aller ? Je ne sais pas, je n'écoute que toi, que ce que tu me dis". Rien que pour ces mots là, je préfère être celle qui indique la route. Et puis ça me permet de regarder le paysage.
A Majorque j'écarquille grands les yeux, prête à prendre le moindre petit détail qui me fera dire que je ne suis pas trop chez moi, et que ça fait du bien. Alors il y a des routes en lacets, et des maisons isolées, avec des oliveraies, des moutons, beaucoup de poussières. On traverse parfois un village, ça sonne presque western, ville fantôme avec tous ces volets fermés. On arrive enfin à notre nid pour ces quelques jours, comme des enfants de luxe, on se jette sur le balcon "on voit la mer ?" Oui en dessous, des arbres, on la voit la mer, un petit bout de mer mais quand même. Tous les petits déjeuners gargantuesques seront pris dans une salle immense, avec des mômes qui courent partout, il n'y a que des familles ici. Une fois ça de fait, la journée commence au rythme des vacances : paresser, bouquiner, écrire, se balader. Un jour, on visite un château, je regarde au loin et m'étonne de ces arbres que je vois si distinctement sur les montagnes. "tu crois que ce sont des arbres géants ?" Un autre jour, on a bien étudié la carte, on veut découvrir des petites criques en courant. D'abord, on se perd, on rencontre sur le chemin un caddie oublié au milieu de nulle part, et de l'autre côté de la falaise, je vois une grosse chèvre. Un bouquetin, qu'on me dit. Cela n'empêche, le chemin qu'on emprunte sent le miel, pour de vrai, pendant quasiment deux heures, je sens l'odeur du miel et le soleil est juste à point, on rencontre un unique cycliste. Nous sommes presque seuls au monde. Le dernier soir, j'ai envie d'une glace, et on a oublié que la saison n'était pas si haute que ça. Heureusement tout au bout de la rue, un glacier nous a presque attendu avant de fermer sa boutique. J. insiste pour qu'on aille finir notre glace au bord de la mer. Je bougonne un peu, il fait nuit, il insiste, car oui c'est ça les vacances.
Puis nous ne rentrerons pas ensemble à Paris avec J. Moi le samedi, lui le dimanche. "pourquoi tu ne rentres pas en même temps que lui ?","pourquoi vous n'essayez pas d'être plus fusionnels ?". De nouveau je grince et je m'agace. Je voudrais sourire et dire c'est notre vie, c'est comme ça. Mais non je m'emporte, je me justifie, je m'insurge. Pourquoi devrait-on faire comme tout le monde si on peut faire comme ça nous convient ?
Après ça, il faut que je compose avec moi, avec la difficulté de ne rien supporter, et de me rendre compte que c'est ma personne que je ne supporte pas. C'est comme si tout venait se cogner à moi, les objets, les meubles, le regard des gens, et même mon propre corps. Il y a des douleurs que je ne sais plus à qui confier. A qui puis-je dire que mon frère me manque ? Et y a-t-il besoin de le dire ?
On m'a dit qu'il fallait que je me fasse un plan de carrière. Je n'ai pas compris. ça m'a de nouveau piqué. Mais depuis deux jours, je dors la nuit, d'un sommeil très lourd et engourdissant. Le matin, je l'entends à peine se lever et je me réveille juste assez pour sentir ses lèvres sur moi qui me disent bonne journée.
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